Guillemet

Moins connu que Monet, Pissarro ou Sisley, Guillemet, est très proche des impressionnistes. Elève de Daubigny et de Corot, il rencontre Cézanne en 1861 : lorsque celui-ci peindra Le quai de Bercy, c’est sans doute en pensant à son ami Guillemet dont le père était négociant en vins à Bercy.

Cette rencontre avec Cézanne fut décisive pour Cézanne, que Guillement fit connaître à Manet, et pour Zola qu’il introduisit au Café Guerbois. Familier des jeudis du romancier qui le met en scène dans Une Farce, le peintre inspire à Zola sa conception radicale du combat esthétiqueSi celui-ci revendique dans Mes Haines un « 93 » décapitant « l’insolente royauté des médiocres », si Gagnière parle dans L’Œuvre de « guillotiner l’Institut », c’est sans doute en effet à Guillemet qu’il emprunte cette Carmagnole de la peinture : « Nous peignons sur un volcan, le 93 de la peinture va tinter son glas funèbre, écrivait le peintre en 1866, le Louvre brûlera, les musées, les antiques disparaîtront […] ; aux armes, saisissons d’une main fébrile le couteau de l’insurrection, démolissons et construisons ! Courage frères. Serrons nos rangs, nous sommes trop peu pour ne pas faire cause commune,- on nous fout à la porte, nous leur foutrons la porte au nez. »

Les ardeurs révolutionnaires de Guillemet, refusé au Salon de 1866 et au Salon de 1867, furent pourtant bien vite calmées. Déjà reçu en 1865 avec L’Etang de Batz, il l’est à nouveau en 1869 avec Village au bord de la Seine. 

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En 1872, l’Etat achète Marée basse à Villerville ; 

Guillemet

en 1874, alors que se déroule la première exposition rebelle, Bercy en décembre obtient la deuxième médaille au Salon et, consécration suprême, Guillement entre Musée du Luxembourg.

Zola n’évoquera cette toile qu’en 1875 alors que Guillement présente Le Quai d’Orsay ;

Le Quai d’Orsay, de M. Guillemet, une vue de Paris toute grouillante, la Seine, les ponts, les bords si finement colorés de la rivière.

Le Salon de 1875 – Lettre de Paris, le 2 mai 1875

Un autre élève de Corot, Guillemet, se distingue par une remarquable élégance. L’année dernière il a exposé une vue des quais de la Seine prise de Bercy qui a eu un vif succès. Cette année il a redonné une vue de la Seine, mais du quai des Tuileries : à gauche le quai d’Orsay avec la Chambre des députés et le palais de la Légion d’honneur, puis les ponts, sous lesquels coule le fleuve parsemé de bateaux, et tout au fond la Cité et la cathédrale de Notre-Dame, se découpant sur un ciel bleu. Ceci, c’est Paris vivant. Guillemet aime les larges horizons et les rend avec un luxe de détails qui ne nuit pas à la splendeur de l’ensemble.

Lettres de Paris, Une Exposition de tableaux à Paris -Le messager de l’Europe juin 1875

en 1876, il commente Villerville (Calvados) et il en profite pour opposer la stratégie du peintre, qui a réussi à faire une brillante carrière en luttant sur le terrain officiel du Salon à ses amis impressionnistes qui tirent le diable par la queue et s’attirent les quolibets de la foule avec leurs expositions indépendantes.

Le paysage, cette année, semble mal représenté. Il reste cependant la gloire de notre école moderne. Je me contenterai de signaler Un verger, de Daubigny, et une Vue de Villerville, à marée basse, de Guillemet.

Lettres de Paris, le 2 mai 1876

Au nombre des jeunes paysagistes en passe de devenir à leur tour des maîtres, je nommerai Guillemet, dont les toiles furent très remarquées lors du dernier Salon. Cette année son tableau appelé Villerville m’a paru encore meilleur. C’est tout simplement un rivage de mer à marée basse, des éboulis et des falaises à droite, la mer à gauche, une ligne verte à l’horizon. Cela donne une pression sombre et sublime : une brise saline venant de la mer vous souffle au visage ; le soleil se couche, l’ombre approche des immensités lointaines. Ce qui constitue l’originalité de Guillemet, c’est qu’il garde un pinceau vigoureux tout en poussant à l’extrême l’étude des détails. Il appartenait autrefois à un groupe de jeunes artistes révolutionnaires qui se piquaient de n’exécuter que des esquisses ; plus le côté technique était maladroit et plus bruyamment on vantait le tableau. Guillemet a eu le bon sens de se séparer du groupe et il lui a suffi de soigner davantage ses toiles pour connaître le succès. Il est devenu peu à peu un personnage connu, tout en gardant, je l’espère, ses convictions premières. Sa technique s’est perfectionnée et son amour de la vérité est resté le même.

Deux Expositions d’art au mois de Mai – Lettres de Paris, juin1876

En 1877, Guillemet a deux tableaux au SalonLes Falaises de Dieppe, (Seine Inférieure) et Environs d’Artemare (Ain), dont Zola ne dit motIl le mentionne à nouveau en 1878 :

Je traiterai brièvement des jeunes paysagistes qui ont pris la place de leurs maîtres, malheureusement sans la remplir.
Il convient de signaler entre eux Pelouze et Guillemet. Le premier peint à merveille les forêts. Sa Vallée de Cemey est magnifique et La Coupe de bois à Leulisse rend avec conviction la vie sourde mais puissante de la forêt.

Image - Souvenir de Cernay

Guillemet fait des marines admirables du point de vue technique, Villerville et La Plage de pays près de Dieppe. Mais ses vues de Paris me plaisent encore davantage. Je pourrais nommer après ces deux artistes plusieurs autres de talent presque égal. Mais ces deux noms suffiront pour montrer jusqu’où est parvenu notre paysage. Dans nos expositions annuelles de peinture les paysagistes tiennent la tête. Cependant l’opinion courante les traite toujours avec quelque désinvolture. Aussi les jurys sont-ils trop peu disposés à les récompenser. Jamais une médaille d’honneur n’est décernée à un paysagiste. Ce dédain est fondé sur l’idée que l’homme prend assurément une place plus importante dans la nature que les arbres, les vallons et les fleuves. Tous les grands peintres se sont occupés de l’homme. Mais à l’époque de transition où nous sommes, lorsque d’un côté nous voyons les paysagistes réalistes qui marchent à la tête du mouvement moderne, et de l’autre, les peintres historiques qui demeurent figés dans l’imitation académique, dans le mensonge de l’idéal absolu, alors à mon avis il n’y a pas à hésiter : on devrait combler les premiers de distinctions et d’argent, parce qu’ils travaillent à l’avenir, et décourager dans la mesure du possible les derniers, parce qu’ils empêchent le développement du nouvel art.

Lettres de Paris : L’Ecole française de peinture à l’Exposition de 1878

En 1879, Guillemet expose

Au nombre des paysagistes je citerai Guillemet, qui continue avec tant de talent la révolution naturaliste dans notre école du paysage.

Lettres de Paris : Nouvelles artistiques et littéraires – Le Salon de 1879

En refusant d’adhérer à la coopérative des artistes indépendants, Guillemet préparait à sa façon le terrain pour ses amis : devenu membre du jury, il fera admettre Cézanne en 18? et et c’est peut-être par une « charité » de Guillemet que Monet pourra exposer Lavacourt en 1880.

Cette année-là, Zola oppose le Vieux Quai de Bercy aux deux paysages romantiques de Gustave Doré « le Crépuscule et Souvenir de Lock-Corron, deux étonnants horizons romantiques, d’un effet théâtral, et peints dans ces tons boueux dont il attriste d’ordinaire ses plus fulgurantes imaginations » :

Si vous voulez comprendre le vide des deux paysages de cette année, de ces images plates et sans vie, malgré leur prétention au style, comparez-les à la vue de Paris de M. Guillemet : Le vieux Quai de Bercy. Je choisis cette toile, parce qu’elle est l’œuvre d’un artiste de tempérament, qui a la religion du vrai. La Seine roule et s’enfonce ; à droite et à gauche, les quais allongent le pêle-mêle de leurs constructions, des hangars, des usines, des cabarets ; tandis que, tout au fond, derrière les lignes grises des ponts, un quai lointain de Paris blanchit au soleil. Rien de plus gai ni de plus vivant que ces mille détails, ce faubourg grouillant, cette trouée de lumière sur la grande ville, dont on sent comme l’odeur et le bruit. Cela vous arrête ainsi qu’ une fenêtre ouverte brusquement sur un horizon connu. Et cela est très solidement peint, avec des tons clairs et gras, avec une largeur de facture qui répugne aux ficelles du métier.

Le naturalisme au Salon – Le Voltaire – Juin 1880

Lorsque paraîtra L’Œuvre, en 1885, Guillement se sentira visé à travers le personnage de Fagerolles. Le romancier considère pourtant que la stratégie de Guillemet, celle de la lutte sur le terrain officiel du Salon, est la seule qui vaille et ce n’est pas lui mais bien Gervex qu’il a caricaturé à travers ce personnage sans scrupules.

En 1896, dans son article Peinture, du Figaro, Zola se rappellera avec émotion ses années de jeunesse et ses combats pour l’école du plain air, il nomme Guillemet sans préciser qu’il expose deux toiles au Salon, Paris et Barfleur :

J’étais mêlé à tout un groupe d’artistes jeunes, Fantin, Degas, Renoir, Guillemet, d’autres encore, que la vie a dispersés, a semés aux étapes diverses du succès.

Peinture – Le Figaro – 2 mai 1896


Rares sont les œuvres de Guillemet dont on trouve une reproduction sur Internet : on se fera néanmoins une idée de ce peintre en regardant celles-ci :
Saint-Vaast, le Port de Barfleur une chaumière, Pinède au bord de la mer, Bord de mer , Saint-Vaast la Hougue

 

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