Corot

page en construction
 

Corot [est un] maître dont le talent est si connu que je puis me dispenser d’en faire l’analyse. J’avoue préférer mille fois à ses grandes toiles, où il arrange la nature dans une gamme sourde et rêveuse, les études plus sincères et plus éclatantes qu’il fait en pleins champs. Je me souviens d’avoir vu dernièrement, dans une vente, un adorable chemin creux, tout ensoleillé, peint avec une franchise et une solidité magistrales. Certes, cela valait mieux que la campagne laiteuse à laquelle il a habitué le public, difficilement il est vrai. D’ailleurs, Corot est un peintre de race, très personnel, très savant, et on doit le reconnaître comme le doyen des naturalistes, malgré ses prédilections pour les effets de brouillard. Si les tons vaporeux, qui lui sont habituels, semblent le classer parmi les rêveurs et les idéalistes, la fermeté et le gras de sa touche, le sentiment vrai qu’il a de la nature, la compréhension large des ensembles, surtout la justesse et l’harmonie des valeurs en font un des maîtres du naturalisme moderne. Le meilleur des deux tableaux qu’il a au Salon, est, selon moi, la toile intitulée : Un Matin à Ville-d’Avray. C’est un simple rideau d’arbres, dont les pieds plongent dans une eau dormante et dont les cimes se perdent dans les vapeurs blanchâtres de l’aube. On dirait une nature élyséenne, et ce n’est là cependant que de la réalité, un peu adoucie peut-être. Je me souviens d’avoir vu, à Bonnières, une matinée semblable ; des fumées blanches traînaient sur la Seine, montant par lambeaux le long des grands peupliers des îles, dont elles noyaient le feuillage ; un ciel gris flottait, emplissant l’horizon d’une tristesse vague.

Les Paysagistes, Juin 1868

[…] entre les œuvres de Corot je donne la préférence à celles où la nature est représentée dans toute sa simplicité. La seconde toile que j’ai remarquée c’est Le Chemin près de l’étang à Ville-d’Avray. Le chemin passe à l’orée d’un bois – et c’est tout le tableau. Lorsque Corot peignait pour les amateurs, il ne lésinait pas sur les petites figures habillées en costume antique, il noyait les arbres d’une brume faite évidemment pour charmer les moins sensibles. Mais il peignait aussi des tableaux plus francs et plus solides que je mets infiniment plus haut. Il gardait ces études sous clé, et il faut un hasard particulier pour que de temps en temps l’une d’entre elles soit mise en vente. J’ai vu des chemins de village, des ponts, des hameaux accrochés au flanc des collines, d’une force et d’une vérité saisissantes. Aucun peintre jusqu’ici n’a rendu la nature avec autant d’ exactitude et de fidélité.

Corot, mort il y a quelques semaines, a envoyé au Salon trois tableaux : Bûcherons, Les Plaisirs du soir, et Biblis. Les Plaisirs du soir sont particulièrement beaux. Dans le crépuscule, sous de grands arbres, dansent des nymphes. Le ciel est d’un gris tendre ; le soleil n’a laissé à l’horizon qu’une étroite bande de rose ; l’eau de l’étang est déjà noire. Tout est tranquille, la nature s’endort doucement.

Pour revenir à l’index général des peintres cités par Zola

pour lire Les Ecrits sur l’art de Zola