Cézanne (Paul)

Deux expositions récentes ont mis Cézanne à l’honneur, Portraits de Cézanne, en 2017  et Cézanne et les maîtres, en 2020. Nous vous proposons de les revisiter 

On a dit beaucoup de contre-vérités sur la relation de Zola à Cézanne, sur la trahison du peintre par le romancier et sur leur prétendue rupture après la publication de L’Œuvre. Les choses sont en réalité beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît. Nous vous disons pourquoi dans cette série de trois vidéos.

Que Zola ait très très peu parlé de Cézanne dans ses oeuvres critiques, s’explique, avant tout, par sa faible participation aux expositions dont parle Zola. La première citation de Cézanne par Zola remonte au 8 avril 1867, alors que venait de paraître cette lettre d’Arnold Mortier dans Le Figaro :

« On m’a parlé de deux tableaux refusés dus à M. Sésame (rien des Mille et une nuits), le même qui provoqua en 1863, une hilarité générale au Salon des refusés – toujours ! – par une toile représentant deux pieds de cochon en croix.
M. Sésame a envoyé cette fois à l’Exposition deux compositions, sinon aussi bizarres, du moins aussi dignes d’être exclues du Salon. Ces compostions sont intitulées 
Le grog au vin et représentent l’une, un homme nu à qui une femme en grande toilette vient apporter un grog au vin ; l’autre, une femme nue et un homme en costume de lazzarone : ici le grog est renversé. »

Immédiatement Zola prend fait et cause pour son ami en écrivant cette lettre à M. Magnard, rédacteur du Figaro:

Mon cher confrère,

Ayez l’obligeance, je vous prie, de faire insérer ces quelques lignes de rectification. Il s’agit d’un de mes amis d’enfance, d’un jeune peintre dont j’estime singulièrement le talent vigoureux et personnel. Vous avez coupé, dans l’Europe, un lambeau de prose où il est question d’un M. Sésame qui aurait exposé, en 1863, au Salon des Refusés, « deux pieds de cochon en croix », et qui, cette année, se serait fait refuser une autre toile intitulée : Le Grog au vin. Je vous avoue que j’ai eu quelque peine à reconnaître sous le masque qu’on lui a collé au visage, un de mes camarades de collège, M. Paul Cézanne, qui n’a pas le moindre pied de cochon dans son bagage artistique, jusqu’à présent du moins ! Je fais cette restriction, car je ne vois pas pourquoi on ne peindrait pas des pieds de cochon comme on peint des melons et des carottes. M. Paul Cézanne a eu effectivement, en belle et nombreuse compagnie, deux toiles refusées cette année : Le Grog au vin et Ivresse. Il a plu à M. Arnold Mortier de s’égayer au sujet de ces tableaux et de les décrire avec des efforts d’imagination qui lui font grand honneur. Je sais bien que tout cela est une agréable plaisanterie dont on ne doit pas se soucier. Mais, que voulez-vous ? Je n’ai jamais pu comprendre cette singulière méthode de critique, qui consiste à se moquer de confiance, à condamner et à ridiculiser ce qu’on n’a pas même vu. Je tiens tout au moins à dire que les descriptions données par M. Arnold Mortier sont inexactes. Vous-même, mon cher confrère, vous ajoutez de bonne foi votre grain de sel : vous êtes « convaincu que l’auteur peut avoir mis dans ses tableaux une idée philosophique ». Voilà de la conviction placée mal à propos. Si vous voulez trouver des artistes philosophes, adressez-vous aux Allemands, adressez-vous même à nos jolis rêveurs français ; mais croyez que les peintres analystes, que la jeune école dont j’ai l’honneur de défendre la cause, se contente des larges réalités de la nature. D’ailleurs, il ne tient qu’à M. de Nieuwerkerke que Le Grog au vin et Ivresse soient exposés. Vous devez savoir qu’un grand nombre de peintres viennent de signer une pétition demandant le rétablissement du Salon des Refusés. Peut-être M. Arnold Mortier verra-t-il un jour les toiles qu’il a si lestement jugées et décrites. Il arrive des choses si étranges. Il est vrai que M. Paul Cézanne ne s’appellera jamais M. Sésame, et que, quoi qu’il arrive, il ne sera jamais l’auteur de « deux pieds de cochon en croix ».


Votre dévoué confrère,
Émile Zola

Nos peintres au Champ-de-Mars

Je signalerai particulièrement, parmi les toiles qui m’ont frappé, un paysage très remarquable de M. Paul Cézanne, un de vos compatriotes, un Aixois, qui a fait preuve d’une grande originalité ; M. Paul Cézanne, qui lutte depuis longtemps, a un véritable tempérament de grand peintre.

Lettres de Paris, Le Salon de 1874

Je citerai ensuite M. Paul Cézanne, qui est à coup sûr le plus grand coloriste du groupe. Il y a de lui, à l’exposition, des paysages de Provence du plus beau caractère. Les toiles si fortes et si vécues de ce peintre peuvent faire sourire les bourgeois, elles n’en indiquent pas moins les éléments d’un très grand peintre. Le jour où M. Paul Cézanne se possédera tout entier, il produira des œuvres tout à fait supérieures.

Notes parisiennes
une exposition : Les peintres impressionnistes 1877
le 19 avril 1877

Avec un jugement très sûr, Zola note en 1880 ce qui sépare Cézanne des impressionnistes :

« M. Paul Cézanne, un tempérament de grand peintre qui se débat encore dans des recherches de facture, reste plus près de Courbet et de Delacroix [que Monet, Pissarro, Guillaumin ou Sisley].

Le naturalisme au salon 1880


Mais Cézanne déçoit Zola, c’est la personnalité de son ami, paralysé par les angoisses et les repentirs de la recherche, qui ont fait obstacle à sa carrière. Car les fulgurances du génie ne suffisent pas, il faut encore croire suffisamment en soi-même pour dompter la foule et s’imposer au public ; qualités dont Cézanne, comme le malheureux héros de L’Œuvre, manque singulièrement aux yeux de Zola : « Paul a peut-être le génie d’un grand peintre, disait-il, il n’aura jamais celui de le devenir » :

« Oui, trente années se sont passées, et je me suis un peu désintéressé de la peinture. J’avais grandi presque dans le même berceau, avec mon ami, mon frère, Paul Cézanne, dont on s’avise seulement aujourd’hui de découvrir les parties géniales de grand peintre avorté ».

Peinture 1896

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