Le Salon des Refusés

L’extraordinaire sévérité du jury du salon de 1863 ayant suscité la colère des artistes refusés, Napoléon III dut leur concéder une exposition dans une salle voisine de l’exposition officielle, qui se tenait alors au Palais de L’Industrie. Cette manifestation – à laquelle on donna le nom de Salon des Refusés -, est restée célèbre : Manet y exposa, entre autres, Le Déjeuner sur l’Herbe qui déclencha l’une des polémiques les plus violentes de l’histoire de l’art du XIX° siècle.

« Le Salon des Refusés » avait été organisé par ceux-là mêmes qui avaient exclu à tour de bras les novateurs et le jury, entièrement contrôlé par l’Ecole des Beaux-Arts, n’était pas disposé à laisser contester son jugement sans réagir. Pour contourner la « mesure libérale de l’empereur », les jurés choisirent donc habilement la disposition des œuvres présentées, essayant de « tuer » par l’accrochage les toiles qu’ils avaient arbitrairement condamnées. En accrochant les tableaux les plus scabreux, les plus médiocres, voire les plus nuls, sur la cimaise, – place d’honneur au salon officiel -, les jurés voulaient aussi mettre d’emblée les rieurs de leur côté ; et c’est bien là ce qu’ils ont entrepris ici à l’encontre de la Jeune Fille en blanc de Whistler, mise en bonne place par dérision. Zola, qui avait visité le Salon des Refusés avec Cézanne, lui aussi recalé à l’exposition officielle, n’a pas oublié les sarcasmes et les sous-entendus égrillards qui accueillirent cette « belle étude de femme » où Whistler, comme le fera Manet dans Olympia, explorait toute la gamme des blancs, rehaussée de la crinière rousse de son modèle. Mais le public, à l’instar du critique Castagnary, ne voulait voir en elle qu’une jeune mariée au lendemain de ses noces, méditant sur les troubles révélations de la nuit : « La Dame en blanc, écrira Zola dans L’Œuvre, […] récréait le monde : on se poussait du coude, on se tordait, il se formait toujours là un groupe, la bouche fendue »

Mélangeant les formats, les genres et les sujets dans un pêle-mêle carnavalesque, le jury créait par ailleurs des voisinages cocasses, dont pâtissaient évidemment les meilleurs. Là encore, Zola restitue parfaitement le tohu-bohu ainsi créé dans L’Œuvre : en face d’« un immense Berger regardant la mer, fable », la « petite toile » qui évoque les fantaisies hispanisantes de Manet, « des Espagnols jouant à la paume », passe pratiquement inaperçue. Zola qui, dans son Edouard Manet, saluait déjà « les taches grasses et énergiques » de Melle V… en costume d’espada et le Portrait de jeune homme en costume de majo se rappelle pourtant ici le « coup de lumière d’une intensité splendide » qu’elles faisaient au milieu de cet « ensemble incohérent ». Mais ce fut Le Déjeuner sur l’herbe qui déclencha le plus d’hilarité parmi la foule des spectateurs qui se pressaient à l’exposition des contestataires plus encore qu’au salon officiel. Quand on songe que la chevelure dénouée de La Jeune Fille en Blanc avait à elle seule provoqué l’indignation des gens comme il faut, on comprend que le nu de Manet ait pu passer pour une atteinte inadmissible à la pudeur des demoiselles : « – Emmenez ma fille, dit la pâle Mme Margaillan à l’oreille de Dubuche, ironise Zola dans L’Œuvre. Il se précipita, dégagea Régine, qui avait baissé les paupières ; et il déployait des muscles vigoureux comme s’il eût sauvé ce pauvre être d’un danger de mort. »

 

 

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