Les Italiens

..Dès 1868, Emile Zola disait dans Mes Haines son amour des peintres italiens ; contre Proudhon, qui enveloppait dans un même anathème « la Renaissance et [son] époque » au nom d’un idéal socialiste et moralisateur, le jeune critique célébrait la puissante originalité des maîtres de la Renaissance italienne : « Je vous demande un peu, ironisait-il, des gens qui se permettent d’avoir du génie sans consulter l’humanité ; de Michel-Ange, des Titien, des Véronèse […] qui ont l’audace de penser pour eux et non pour leurs contemporains, de dire dans leurs entrailles et non ce qu’ont dans les leurs les imbéciles de leur temps ! »
On voit d’emblée tout ce qui sépare Zola d’une conception académique ou idéologique de l’œuvre d’art. Seuls le tempérament, la personnalité individuelle comptent à ses yeux ; or les contemporains, ceux qu’il admire et qu’il défend de toute sa fougue de polémiste, sont précisément des individualités puissantes en butte aux tracasseries des « imbéciles de leur temps », les maîtres de l’Ecole des beaux-arts qui leur ferment les portes du Salon. Et ce sont eux, les parias, qui sont les véritables héritiers des peintres de la Renaissance italienne :

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de Véronèse, dont Les Noces de Cana figurent parmi les toiles citées dans L’Assommoir, ils ont appris leur métier de coloristes : « les grands artistes de la Renaissance ont commencé par apprendre à broyer les couleurs », écrivait Zola dans Mon Salon, ils n’avaient pas peur d’éclabousser leur blouse !

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Du Corrège, dont Le Sommeil d’Antiope émeut si fort Boche et Bibi-la-Grillade, ils ont appris le sens des mises en page non-conformistes.

Du Titien, dont Mme Lorilleux contemple La Maîtresse, ils ont appris l’innocence charnelle et l’on sait tout ce que Le Déjeuner sur l’herbe ou l’Olympia de Manet doivent respectivement au Concert Champêtre et à la Vénus d’Urbino…

Mais Zola n’a pas attendu L’Assommoir pour dire son amour de la Renaissance Italienne : dès 1873, en contrepoint des fantaisies flamandes de la poissonnerie et de la charcuterie du Ventre de Paris, il imaginait une petite marchande de quatre saisons sur le modèle des mosaïques surréalistes de fleurs et de fruits d’Arcimboldo.


Après Les Rougon-Macquart, la préparation de Rome (1896), le deuxième volume des Trois Villes, lui donnera l’occasion de visiter l’Italie. Resté dans l’éblouissement 
la Chapelle Sixtine, il reviendra une nouvelle fois sur la puissance surhumaine de Michel-Ange dont « la virilité créatrice » écrase à ses yeux les « précurseurs », « Fra Angelico, le Pérugin, Botticelli et tant d’autres », mais aussi « l’autre souveraineté » de la cité papale, le « divin » Raphaël. C’est ensuite pour Zola la décadence de l’art romain ; si le Caravage en retarde la chute irrémédiable en apportant « tout ce que la science de la peinture a pu conquérir, en l’absence du génie, la couleur et le modelé puissant », le Bernin jette en sculpture les prémices d’un « maniérisme triomphal », d’« une recherche de l’artificiel » où se complaît Narcisse, le prêtre efféminé qui incarne dans le roman les raffinements morbides de la sensibilité « fin de siècle ».

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pour lire Les Ecrits sur l’art de Zola