Michel-Ange et les peintres de la Chapelle Sixtine dans Rome

Confiant dans la puissance de la vie, Zola oppose dans Rome « la virilité créatrice » de Michel-Ange aux anges efféminés de Botticelli et aux créatures androgynes qui plaisent à la sensibilité fin de siècle. Le superbe Adam de Michel-Ange, avec ses « muscles saillants », son Eve « aux flans solides » sont faits pour pour enfanter des mondes tandis que les figures mystiques et maniérées de Botticelli ouvrent les yeux « sur le néant humain ».

A nouveau, Zola choisit le génie du coloriste contre celui du « trait précieux », « le maître de la clarté » contre la « demi-obscurité du symbole » et continue, à travers les peintres de la Chapelle Sixtine, le combat qu’il a mené pour les « faiseurs de chair » contre les rêveurs d’idéal. Les Pérugin, les Pinturicchio, les Rosselli, les Signorelli, Raphaël même lui apparaissent fades, écrasés par le « maçon colossal », par le « monstre » dont l’inépuisable fécondité blesse leurs délicatesses florentines. Ils séduisent à ses yeux les « jolis esprits, les intellectuels pénétrants [qui] raffinent sur l’équivoque et l’invisible » tandis que Michel-Ange incarne la force invincible et la santé de la vie.

Raphaël même, dont Ingres et les académistes revendiquaient la postérité, a beau incarner « la noblesse, la grâce, la ligne exquise et correcte », il a beau apporter dans la peinture la dimension de l’intériorité, « une analyse psychologique d’une pénétration profonde », il pâlit devant le pinceau de Michel-Ange : « C’est Racine à côté de Corneille, Lamartine à côté d’Hugo, l’éternelle paire, le couple de la femelle et du mâle dans les siècles de gloire. »

………Quand il entra dans la chapelle Sixtine, il éprouva d’abord une surprise. Elle lui parut petite, une sorte de salle rectangulaire, très haute, avec sa fine cloison de marbre qui la coupe aux deux tiers, la partie où se tiennent les invités, les jours de grande cérémonie, et le chœur où s’assoient les cardinaux sur de simples bancs de chêne, tandis que les prélats restent debout, derrière.
Le trône pontifical, sur une estrade basse, est à droite de l’autel, d’une richesse sobre. A gauche, dans la muraille, s’ouvre l’étroite loge, à balcon de marbre, réservée aux chanteurs. Et il faut lever la tête, il faut que les regards montent de l’immense fresque du Jugement dernier, qui occupe la paroi entière du fond, aux peintures de la voûte, qui descendent jusqu’à la corniche, entre les douze fenêtres claires, six de chaque côté, pour que, brusquement, tout s’élargisse, tout s’écarte et s’envole, en plein infini.
Il n’y avait heureusement là que trois ou quatre touristes, peu bruyants. Et Pierre aperçut tout de suite Narcisse Habert, sur un des bancs des cardinaux, au-dessus de la marche où s’assoient les caudataires. Le jeune homme, immobile, la tête un peu renversée semblait comme en extase. Mais ce n’était pas l’œuvre de Michel-Ange qu’il regardait. Il ne quittait pas des yeux, en dessous de la corniche, une des fresques antérieures. Et, lorsqu’il eut reconnu le prêtre, il se contenta de murmurer, les regards noyés :
« Oh ! mon ami, voyez donc le Botticelli ! »
Puis, il retomba dans son ravissement.
Pierre, dans un grand coup en plein cerveau et en plein cœur venait d’être pris tout entier par le génie surhumain de Michel-Ange. Le reste disparut, il n’y eut plus, là-haut, comme en un ciel illimité, que cette extraordinaire création d’art.
L’inattendu d’abord, ce qui le stupéfiait, c’était que le peintre avait accepté d’être l’unique artisan de l’oeuvre. Ni marbriers, ni bronziers, ni doreurs, ni aucun autre corps d’état. Le peintre, avec son pinceau avait suffi pour les pilastres, les colonnes, les corniches de marbre pour les statues et les ornements de bronze, pour les fleurons et les rosaces d’or, pour toute cette décoration d’une richesse inouïe qui encadrait les fresques. Et il se l’imaginait, le jour où on lui avait livré la voûte nue, rien que le plâtre, rien que la muraille plate et blanche, des centaines de mètres carrés à couvrir. Et il le voyait devant cette page immense, ne voulant pas d’aide, chassant les curieux, s’enfermant tout seul avec sa besogne géante jalousement, violemment, passant quatre années et demie solitaire et farouche, dans son enfantement quotidien de colosse. Ah ! cette œuvre énorme, faite pour emplir une vie, cette œuvre qu’il avait dû commencer dans une tranquille confiance en sa volonté et en sa force, tout un monde tiré de son cerveau et jeté là, d’une poussée continue de la virilité créatrice, en plein épanouissement de la toute-puissance !
Ensuite, ce fut chez Pierre un saisissement, lorsqu’il passa à l’examen de cette humanité agrandie de visionnaire, débordant en des pages de synthèse démesurée, de symbolisme cyclopéen. Et telles que des floraisons naturelles, toutes les beautés resplendissaient, la grâce et la noblesse royales, la paix et la domination souveraines.
Et la science parfaite, les plus violents raccourcis osés dans la certitude de la réussite, la perpétuelle victoire technique sur les difficultés que les plans courbes présentaient. Et surtout une ingénuité de moyens incroyable, la matière réduite presque à rien, quelques couleurs employées largement, sans aucune recherche d’adresse ni d’éclat. Et cela suffisait, et le sang grondait avec emportement, les muscles saillaient sous la peau, les figures s’animaient et sortaient du cadre, d’un élan si énergique, qu’une flamme semblait passer là-haut, donnant à ce peuple une vie surhumaine, immortelle. La vie, c’était la vie qui éclatait, qui triomphait, une vie énorme et pullulante, un miracle de vie réalisé par une main unique, qui apportait le don suprême, la simplicité dans la force.
Qu’on ait vu là une philosophie, qu’on ait voulu y trouver toute la destinée, la création du monde, de l’homme et de la femme, la faute, le châtiment, puis la rédemption, et enfin la justice de Dieu au dernier jour du monde : Pierre ne pouvait s’y arrêter, dès cette première rencontre, dans la stupeur émerveillée où une telle œuvre le jetait. Mais quelle exaltation du corps humain, de sa beauté, de sa puissance et de sa grâce ! Ah ! ce Jéhovah, ce royal vieillard, terrible et paternel, emporté dans ouragan de sa création, les bras élargis, enfantant les mondes ! Et cet Adam superbe, d’une ligne si noble, la main tendue, et que Jéhovah anime du doigt, sans le toucher, geste admirable, espace sacré entre ce doigt du créateur et celui de la créature, petit espace où tient l’infini de l’invisible et du mystère ! Et cette Eve puissante et adorable, cette Eve aux flancs solides, capables de porter la future humanité, d’une grâce fière et tendre de femme qui voudra être aimée jusqu’à la perdition, toute la femme avec sa séduction, sa fécondité, son empire ! Puis, c’étaient même les figures décoratives, assises sur les pilastres, aux quatre coins des fresques, qui célébraient le triomphe de la chair : les vingt jeunes hommes, heureux d’être nus, d’une splendeur de torse et de membres incomparable, d’une intensité de vie telle, qu’une folie du mouvement les emporte, les plie et les renverse, en des attitudes de héros. Et, entre les fenêtres, trônaient les géants, les prophètes et les sibylles, l’homme et la femme devenus dieux, démesurés dans la force de la musculature et dans la grandeur de l’expression intellectuelle : Jérémie, le coude appuyé sur le genou, la mâchoire dans la main, réfléchissant, au fond même de la vision et du rêve ; la sibylle d’Erythrée, au profil si pur, si jeune en son opulence, un doigt sur le livre ouvert du destin ; Isaïe, à l’épaisse bouche de vérité, toute gonflée sous le charbon ardent, hautain, la face tournée à demi et une main levée, en un geste de commandement ; la sibylle de Cumes, terrifiante de science et de vieillesse, restée d’une solidité de roc, avec son masque ridé, son nez de proie, son menton carré qui avance et s’obstine ; Jonas, vomi par la baleine, lancé là en un raccourci extraordinaire, le torse tordu, les bras repliés, la tête renversée, la bouche grande ouverte et criant ; et les autres, et les autres, tous de la même famille ample et majestueuse, régnant avec la souveraineté de l’éternelle santé et de l’éternelle intelligence, réalisant le rêve d’une humanité indestructible, plus large et plus haute. D’ailleurs, dans les cintres des fenêtres, dans les lunettes, des figures de beauté, de puissance et de grâce, naissaient encore, se pressaient, abondaient, les ancêtres du Christ, les mères songeuses aux beaux enfants nus, les hommes aux regards lointains, fixés sur l’avenir, la race punie, lasse, désireuse du Sauveur promis ; tandis que, dans les pendentifs des quatre angles, s’évoquaient, vivantes, des scènes bibliques, les victoires d’Israël sur l’esprit du mal.
Et c’était enfin la colossale fresque du fond, Le Jugement dernier, avec son peuple grouillant de figures, si innombrables, qu’il faut des jours et des jours pour les bien voir, une foule éperdue, emportée dans un brûlant souffle de vie, depuis les morts que réveillent les anges de l’Apocalypse sonnant furieusement de la trompette, depuis les réprouvés que les démons jettent à l’enfer, en grappes d’épouvante, jusqu’au Jésus justicier, entouré des apôtres et des saints, jusqu’aux élus radieux qui montent, soutenus par des anges, pendant que, plus haut encore, d’autres anges, chargés des instruments de la Passion, triomphent en pleine gloire. Et, pourtant, au-dessus de cette page gigantesque, peinte trente ans plus tard, dans toute la maturité de l’âge, le plafond garde son envolée, sa supériorité certaine, car c’était là que l’artiste avait donné son effort vierge toute sa jeunesse, toute la flambée première de son génie.
Alors, Pierre ne trouva qu’un mot, Michel-Ange était le monstre dominant tout, écrasant tout. Et il n’y avait qu’à voir sous l’immensité de son œuvre, les œuvres du Pérugin, du Pinturicchio, de Rosselli, de Signorelli, de Botticelli et les fresques antérieures admirables, qui se déroulaient en dessous de la corniche, autour de la chapelle.
Narcisse n’avait pas levé les yeux vers la splendeur foudroyante du plafond. Abîmé d’extase, il ne quittait pas du regard Botticelli qui a là trois fresques.
Enfin, il parla, d’un murmure.
« Ah ! Botticelli, Botticelli ! L’élégance et la grâce de la passion qui souffre, le profond sentiment de la tristesse dans la volupté ! Toute notre âme moderne devinée et traduite, avec le charme le plus troublant qui soit jamais sorti d’une création d’artiste ! »
Stupéfait, Pierre l’examinait. Puis, il se hasarda à demander:
« Vous venez ici pour voir Botticelli ?
– Mais certainement, répondit le jeune homme d’un air tranquille. Je ne viens que pour lui, pendant des heures, chaque semaine, et je ne regarde absolument que lui… Tenez ! étudiez donc cette page : Moïse et les filles de Jethro. N’est-ce pas ce que la tendresse et la mélancolie humaines ont produit de plus pénétrant ? »
Et il continua, avec un petit tremblement dévot de la voix de l’air du prêtre qui pénètre dans le frisson délicieux et inquiétant du sanctuaire. Ah ! Botticelli, Botticelli ! La femme de Botticelli, avec sa face longue, sensuelle et candide, avec son ventre un peu fort sous les draperies minces, avec son allure haute, souple et volante, où tout son corps se livre ! Les jeunes hommes, les anges de Botticelli, si réels, et beaux pourtant comme des femmes, d’un sexe équivoque, dans lequel se mêle la solidité savante des muscles à la délicatesse infinie des contours, tous soulevés par une gamme de désir dont on emporte la brûlure !
Ah ! les bouches de Botticelli, ces bouches charnelles, fermes comme des fruits, ironiques ou douloureuses, énigmatiques en leurs plis sinueux, sans qu’on puisse savoir si elles taisent des puretés ou des abominations ! Les yeux de Botticelli, des yeux de langueur, de passion, de pâmoison mystique ou voluptueuse, pleins d’une douleur si profonde, parfois, dans leur joie, qu’il n’en est pas au monde de plus insondables, ouverts sur le néant humain ! Les mains de Botticelli, si travaillées, si soignées, ayant comme une vie intense, jouant à l’air libre, s’unissant les unes aux autres, se baisant et se parlant, avec un souci tel de la grâce, qu’elles en sont parfois maniérées, mais chacune avec son expression, toutes les expressions de la jouissance et de la souffrance du toucher ! Et, cependant, rien d’efféminé ni de menteur, partout une sorte de fierté virile, un mouvement passionné et superbe soufflant, emportant les figures, un souci absolu de la vérité, l’étude directe, la conscience, tout un véritable réalisme que corrige et relève l’étrangeté géniale du sentiment et du caractère, donnant à la laideur même la transfiguration inoubliable du charme !
L’étonnement de Pierre grandissait, et il écoutait Narcisse, dont il remarquait pour la première fois la distinction un peu étudiée, les cheveux bouclés, taillés à la florentine, les yeux bleus, presque mauves, qui pâlissaient encore dans l’enthousiasme.
« Sans doute, finit-il par dire, Botticelli est un merveilleux artiste… Seulement, il me semble qu’ici Michel-Ange … »
D’un geste presque violent, Narcisse l’interrompit.
« Ah ! non, non ! ne me parlez pas de celui-là ! Il a tout gâché, il a tout perdu. Un homme qui s’attelait comme un boeuf à la besogne, qui abattait l’ouvrage ainsi qu’un manœuvre, à tant de mètres par jour ! Et un homme sans mystère, sans inconnu, qui voyait gros à dégoûter de la beauté, des corps d’hommes tels que des troncs d’arbres, des femmes pareilles à des bouchères géantes, des masses de chair stupides, sans au-delà d’âmes divines ou infernales !… Un maçon, et si vous voulez, oui ! un maçon colossal, mais pas davantage ! »
Et, inconsciemment, chez lui, dans ce cerveau de moderne las, compliqué, gâté par la recherche de l’original et du rare, éclatait la haine fatale de la santé, de la force, de la puissance. C’était l’ennemi, ce Michel-Ange qui enfantait dans le labeur, qui avait laissé la création la plus prodigieuse dont un artiste eût jamais accouché. Le crime était là, créer, faire de la vie, en faire au point que toutes les petites créations des autres, même les plus délicieuses, fussent noyées, disparussent dans ce flot débordant d’êtres, jetés vivants sous le soleil.
« Ma foi, déclara Pierre courageusement, je ne suis pas de votre avis. Je viens de comprendre qu’en art la vie est tout et que l’immortalité n’est vraiment qu’aux créatures. Le cas de Michel-Ange me paraît décisif, car il n’est le maître surhumain, le monstre qui écrase les autres, que grâce à cet extraordinaire enfantement de chair vivante et magnifique, dont votre délicatesse se blesse.
Allez, que les curieux, les jolis esprits, les intellectuels pénétrants raffinent sur l’équivoque et l’invisible, qu’ils mettent le ragoût de l’art dans le choix du trait précieux et dans la demi-obscurité du symbole, Michel-Ange reste le tout-puissant, le faiseur d’hommes, le maître de la clarté, de la simplicité et de la santé, éternel comme la vie elle-même ! »
Narcisse, alors, se contenta de sourire, d’un air de dédain indulgent et courtois. Tout le monde n’allait pas à la chapelle Sixtine s’asseoir pendant des heures devant un Botticelli, sans jamais lever la tête, pour voir les Michel-Ange. Et il coupa court en disant :
« Voilà qu’il est onze heures. Mon cousin devait me faire prévenir ici, dès qu’il pourrait nous recevoir, et je suis étonné de n’avoir encore vu personne… Voulez-vous que nous montions aux Chambres de Raphaël, en attendant ? »
Et, en haut, dans les Chambres, il fut parfait, très lucide et très juste pour les œuvres, retrouvant toute son intelligence aisée, dès qu’il n’était plus soulevé par sa haine des besognes colossales et du génial décor.
Malheureusement, Pierre sortait de la chapelle Sixtine, et il lui fallut échapper à l’étreinte du monstre, oublier ce qu’il venait de voir, s’habituer à ce qu’il voyait là, pour en goûter toute la beauté pure. C’était comme un vin trop rude qui l’avait d’abord étourdi et qui l’empêchait de goûter ensuite cet autre vin plus léger, d’un bouquet délicat.
Ici, l’admiration ne frappe pas en coup de foudre ; mais le charme opère avec une puissance lente et irrésistible. C’est Racine à côté de Corneille, Lamartine à côté d’Hugo, l’éternelle paire, le couple de la femelle et du mâle dans les siècles de gloire. Avec Raphaël, triomphent la noblesse la grâce, la ligne exquise et correcte, d’une harmonie divine et ce n’est plus seulement le symbole matériel superbement jeté par Michel-Ange, c’est une analyse psychologique d’une pénétration profonde, apportée dans la peinture. L’homme y est plus épuré plus idéalisé, vu davantage par le dedans. Et, toutefois, s’il y a là un sentimental, un féminin dont on sent le frisson de tendresse, cela est aussi d’une solidité de métier admirable, très grand et très fort. Pierre peu à peu s’abandonnait à cette maîtrise souveraine, conquis par cette élégance virile de beau jeune homme, touché jusqu’au fond du cœur par cette vision de la suprême beauté dans la suprême perfection. Mais, si La Dispute du saint sacrement et L’Ecole d’Athènes, antérieures aux peintures de la chapelle Sixtine, lui parurent les chefs-d’œuvre de Raphaël, il sentit que dans L’incendie du bourg, et plus encore dans l’Héliodore chassé du temple et dans l’Attila arrêté aux portes de Rome, l’artiste avait perdu la fleur de sa divine grâce, impressionné par l’écrasante grandeur de Michel- Ange. Quel foudroiement, lorsque la chapelle Sixtine fut ouverte et que les rivaux entrèrent !
Le monstre avait procréé en bas, et le plus grand parmi les humains y laissa de son âme, sans jamais plus se débarrasser de l’influence subie.
Puis, Narcisse conduisit Pierre aux Loges, à cette galerie vitrée, si claire et d’une décoration si délicieuse. Mais Raphaël était mort, il n’y avait là, sur les cartons qu’il avait laissés, qu’un travail d’élèves. C’était une chute brusque, totale. Jamais Pierre n’avait mieux compris que le génie est tout, que lorsqu’il disparaît, l’école sombre. L’homme de génie résume l’époque, donne, à une heure de la civilisation, toute la sève du sol social, qui reste ensuite épuisé, parfois pour des siècles. Et il s’intéressa davantage à l’admirable vue qu’on a des Loges, lorsqu’il remarqua qu’il avait en face de lui, de l’autre côté de la cour Saint-Damase, étage habité par le pape. En bas, la cour avec son portique, sa fontaine, son pavé blanc, était claire et nue, sous le brûlant soleil. Cela n’avait décidément rien de l’ombre, du mystère étouffé et religieux, que les alentours des vieilles cathédrales du Nord lui avaient fait rêver. A droite et à gauche du perron qui menait chez le pape et chez le cardinal secrétaire, cinq voitures se trouvaient rangées, les cochers raides sur leurs sièges, les chevaux immobiles dans la lumière vive ; et pas une âme ne peuplait le désert de la vaste cour carrée, aux trois étages de loges vitrées comme des serres immenses ; et l’éclat des vitres, le ton roux de la pierre semblaient dorer la nudité du pavé et des façades, dans une sorte de majesté grave de temple païen, consacré au dieu du soleil.
Mais ce qui frappa Pierre plus encore, ce fut le prodigieux panorama de Rome qui se déroule, sous ces fenêtres du Vatican. Il n’avait point songé que cela dût être, il venait d’être tout d’un coup saisi par cette pensée que le pape, de ses fenêtres, voyait ainsi Rome entière, étalée devant lui, ramassée, comme s’il n’avait eu qu’à étendre la main pour la reprendre. Et il s’emplit longuement les yeux et le cœur de ce spectacle inouï, car il voulait l’emporter, le garder, tout frémissant des rêveries sans fin qu’il évoquait.

Pour revenir à l’index général des peintres cités par Zola

pour lire Les Ecrits sur l’art de Zola