Le Régiment qui passe
Avez-vous remarqué que les tableaux de bataille eux-mêmes se sont rapetissés jusqu’à pouvoir orner des tabatières ? Où est le temps où Yvon peignait des toiles colossales qu’on avait peine à caser au musée de Versailles ? Maintenant, nous en sommes tombés à l’épisode. Peut-être est-ce une conséquence de nos défaites. […] M. Detaille a peint Le passage d’un régiment sur le Boulevard, à la hauteur de la porte Saint-Martin ; le Boulevard est encombré, les omnibus circulent ; il tombe quelques flocons de neige ; c’est une image agréable.
Lettre de Paris ; le 2 mai 1875
Je termine avec Detaille, dont la peinture appartient déjà tout entière au genre. Voici son titre : Le Régiment qui passe, Paris, décembre 1874. Le décor est beau : le boulevard à la porte Saint-Martin, une chaussée boueuse, un ciel gris, sur les trottoirs une foule préoccupée qui circule ; on voit les affiches des boutiques voisines, les omnibus qui passent, et au milieu de la rue s’avance le régiment, précédé du tambour-major, derrière lui les tambours, la musique et enfin les soldats, dont les rangs serrés se perdent dans le lointain. Ajoutez les gamins, qui suivent en courant, les oisifs, bouche bée aux fenêtres, tout un coin de Paris vivant. Quel dommage que la transposition superficielle de la réalité rabaisse l’œuvre au niveau d’une image !
C’est curieux, chaque fois qu’un peintre se propose de reproduire la vie contemporaine, il se croit obligé de plaisanter et de falsifier ! Le sérieux dans l’art reste l’apanage des figures mortes de l’imitation classique.
Une exposition de tableaux à Paris juin 1875
Notre école est surtout charmante par le nombre considérable de petits tableaux adorables et habiles qu’elle produit.
Dans le genre, En reconnaissance, la toile où M. Detaille nous montre un détachement français occupant un village que les Prussiens viennent d’abandonner, est certainement une des œuvres qui auront le plus de succès.
Lettres de Paris 2 mai 1876
Enfin, en 1896, dans Peinture, son dernier article critique, Zola compte Detaille, « d’une précision et d’une netteté admirables » parmi les « artistes de grand mérite ».
Detaille a acquis une renommée bruyante par ses anecdotes de guerre. Mais Detaille est loin d’être sans talent. Le tableau qu’il a exposé cette année, En reconnaissance, est le meilleur qu’il ait fait. Le sujet, emprunté à la dernière guerre, est le suivant : un détachement de chasseurs à pied, envoyé en reconnaissance, est en train d’occuper un village où a eu lieu une escarmouche contre la cavalerie. Le principal mérite de l’œuvre est son caractère dramatique. L’ennemi a évacué le village ; il ne reste qu’un cavalier allemand et son cheval, morts et baignant dans le sang, au premier plan. Les habitants se montrent sur le seuil des maisons. L’avant-garde française s’avance avec précaution le long de la rue, conduite par un guide en blouse, et des soldats français émergent aussi des ruelles avoisinantes. Toute cette scène vibre d’émotion, d’une sorte de silence farouche et angoissé. C’est un genre d’art mineur, mais exécuté avec un grand sens des effets.
(Lettres de Paris ; deux expositions d’art au mois de mai ; Juin 1876)
pour lire Les Ecrits sur l’art de Zola |