Bouguereau (William)

Peintre prolifique, William Bouguereau est l’un des artistes favoris de la bourgeoisie bien pensante du Second Empire, de la III° République et plus encore peut-être des riches amateurs d’art américains : son oeuvre peint ne contient pas moins de 822 toiles, dont beaucoup se trouvent aujourd’hui en Amérique.

Professeur à l’Ecole des Beaux-arts, membre du jury, Bouguereau ferme la porte du Salon aux impressionnistes qui se vengent en inventant le terme « bouguereauté » pour désigner le style académique. Pour Bouguereau comme pour tout héritier du grand Ingres, le dessin est primordial, la couleur, sagement enfermée dans ses contours, est appliquée selon la technique du glacis, la touche est invisible. Les sujets de Bouguereau sont des scènes de genre pittoresques, des anecdotes bibliques ou mythologiques : les paysannes sont propres et roses, les jeunes filles chastes et modestes, les déesses délicatement suggestives… Saintes ou belles de l’antiquité, toutes ont des élégances apprêtées qui plaisent aux nouveaux riches et aux prêtres mondains : « les églises neuves ont besoin d’images, les curés achètent des crucifixions et des saintes-vierges », remarque Zola en 1875.

 

William-Adolphe Bouguereau (1825-1905) - Charity (1859).jpg Fichier:Bouguereau - família indigente, 1865.jpg
Bouguereau, Charité, 1859 et La Famille indigente (allégorie de la Charité, 1865)
William-Adolphe Bouguereau (1825-1905) - Homer and his Guide (1874).jpg Fichier:Italiennefontaine W-A Bouguereau 1870.png

Zola, qui ne peut guère parler des toiles de ses amis dans les articles qu’il consacre au Salon, puisqu’ils en sont régulièrement exclus, relayera leur combat par la plume à partir de 1874. En mai, alors que Bouguereau expose Charité, Homère et son guide et Italienne à la Fontaine, il raille « les saintetés au miel de Bouguereau » ; en mai 1875, il récidive et cite, parmi les toiles les plus déplaisantes du Salon, « dans le goût classique, les toiles de M. Cabanel et de M. Bouguereau, le triomphe de la propreté en peinture, des tableaux unis comme une glace, dans lesquels les dames peuvent se coiffer. »

Lettre de Paris, le 2 mai 1875

Nouvel éreintement en Juin 1875 …

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[…] Bouguereau, porte à l’extrême les insuffisances de Cabanel. La peinture sur porcelaine paraît grossière à côté de ses toiles. Ici le style académique est bien dépassé : c’est le comble du pommadé et de l’élégance lustrée. Son tableau, La Vierge entourée de l’Enfant Jésus et de saint Jean-Baptiste, est en tout caractéristique de son style. Je n’y ai pas fait allusion en traitant des tableaux religieux, parce que sa place est au boudoir, non à l’église.

Lettres de Paris, juin 1875

… et en 1876

William-Adolphe Bouguereau (1825-1905) - Pieta (1876).jpg

Bouguereau a peint une Sainte Vierge pleurant son Fils divin, de laquelle l’élégance poncive est fort curieuse dans son genre.

Deux expositions d’art au mais de mai Lettres de Paris, juin 1876

En 1878, lors de l’Exposition Universelle, Zola s’indigne de voir Bouguereau porté aux nues par l’administration des Beaux-Arts, alors que Courbet est admis en parent pauvre au Champ de Mars. Il exposait douze toiles : La Vierge, l’Enfant Jésus et Saint Jean Baptiste (Salon de 1875), Pièta (Salon de 1876), Portrait de Mme B. (Salon de 1876), Vierge consolatrice (Salon de 1877), La Jeunesse et l’Amour (Salon de 1877), La Charité, Ame au Ciel, Nymphée, La Grande Sœur (1), Portrait de Monseigneur l’Evêque de la Rochelle, Portrait de M. B.  :

Au Champ-de-Mars il n’y a qu’une toile de Courbet : La Vague, et même ce tableau n’y figure que parce qu’il appartient au musée du Luxembourg, et dès lors l’Administration des beaux-arts a bien été obligée de l’accepter. Et c’est cette toile unique que nous montrons à l’Europe, alors que Gérome dans la salle voisine ne compte pas moins de dix tableaux et que Bouguereau va même jusqu’à douze. Voilà qui est honteux. […]

 

   

La Charité, 1878 et La Vierge, l’Enfant Jésus et Saint Jean Baptiste (1875), Pièta (Salon de 1876) et Vierge Consolatrice (1877)

 

Ame au Ciel et le Nymphée (1878)

  Fichier:William-Adolphe Bouguereau, Les deux soeurs, 1877.jpgFichier:Thomas W-A Bouguereau.png

Bouguereau, Flore et Zéphire (Salon de 1875), La Jeunesse et l’Amour (1877) La Grande Sœur (1877) ? et Portrait de Mgr l’Evêque de la Rochelle

Bouguereau, trait d’union entre Cabanel et Gérome, qui cumule le pédantisme du premier et le maniérisme du second. C’est l’apothéose de l’élégance ; un peintre enchanteur qui dessine des créatures célestes, des bonbons sucrés qui fondent sous les regards. Beaucoup de talent, si le talent peut se réduire à l’habileté nécessaire pour accommoder la nature à cette sauce ; mais c’est un art sans vigueur, sans vitalité, c’est de la peinture en miniature colossalement et prodigieusement boursouflée et dépouillée de toute vérité.

Lettres de Paris : L’Ecole française de peinture à l’Exposition de 1878

 

En 1880, Zola commence par fustiger la Phèdre de Cabanel pour placer, plus bas encore, les « chairs ambrées de M. Bouguereau » :

William-Adolphe Bouguereau (1825-1905) - The Flagellation of Our Lord Jesus Christ (1880).jpg

Cela [le tableau de Cabanel] est faux de sentiment, faux d’observation, faux de facture. Si nous passons à M. Bouguereau, à sa Flagellation du Christ, par exemple, nous tombons d’un mal dans un pis ; ici l’habileté est telle, que la nature disparaît complètement ; on regrette le lâché de M. Cabanel. C’est la perfection dans la banalité.

Le Naturalisme au Salon – 1880

Note 1 : Il est difficile de dire quelle est la toile qui portait le titre de La Grande Sœur à L’Exposition de 1878 ; Bouguereau a peint le même motif à maintes reprises et l’Exposition regroupait des toiles choisies dans toute sa carrière) :

La Grande Sœur, 1864, 1869 et 1877
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pour lire Les Ecrits sur l’art de Zola