Bien connu comme romancier, Emile Zola fut aussi un formidable journaliste, un chroniqueur politique, artistique et littéraire. Ses comptes rendus du Salon de peinture et des expositions indépendantes, en rupture avec le goût dominant de l’époque, ont souvent provoqué le désabonnement massif de lecteurs peu habitués à entendre l’âpre « vérité » naturaliste. Fustigeant inlassablement les peintres académistes qui fermaient à ses amis les portes de l’exposition officielle, l’auteur de Thérèse Raquin et des Rougon-Macquart est sans doute en effet le plus lucide des critiques de son temps, celui qui prophétisait la gloire de Manet et l’irrémédiable déclin des toiles « cuisinées selon les recettes de l’Ecole ».
Mais les deux activités, littéraire et esthétique, sont inséparables chez Zola qui pratique une forme originale d’écriture romanesque, la « description dramatisée ». D’un tableau aimé, le romancier fait une aventure, un paysage, un drame de l’histoire ou un portrait intime : il raconte l’insurrection du Var contre Louis Napoléon Bonaparte à travers les toiles romantiques de Delacroix, il donne à l’héroïne d’Une Page d’Amour les traits des élégantes de Renoir, il brosse les gares de La Bête Humaine à la manière de Monet… « Dans tous mes livres, […] affirmait-il, j’ai été en contact et échange avec les peintres […]. Les peintres m’ont aidé à peindre d’une manière neuve, « littérairement ». »
Conformément à sa théorie des écrans, Zola multiplie ainsi les points de vue sur le monde : romantique avec les républicains de 1851 en lutte contre le coup d’Etat, il emprunte la palette académiste pour railler le goût bourgeois de Son Excellence Rougon, il découvre chez Millet les paysans réalistes de La Terre et imagine Gervaise d’après les Repasseuses de Degas. C’est dire qu’on ne peut comprendre les romans d’Emile Zola sans avoir à l’esprit les toiles qui hantent son écriture de leur présence secrète. Nous proposons donc ici, outre une présentation de la vie et de l’œuvre du romancier, le texte intégral des Salons et autres Ecrits sur l’art mais aussi quelques exemples de cette écriture en images dont notre CD-ROM, Le Musée Imaginaire d’Emile Zola (éd. Pages-Jaunes) et nos conférences, L’art, la science, l’idéologie, trois clefs pour lire ou relire Emile Zola, offrent un large panorama.
Il est bien évident que cette édition numérique ne saurait remplacer l’édition papier des Ecrits sur L’art, indispensable à tous les amoureux de Zola : l’édition d’Henri Mitterand, au Cercle du Livre Précieux, et l’édition de Jean-Pierre Leduc-Adine, chez Tel-Gallimard, sont d’excellents outils de recherche. Mais l’informatique et les formidables ressources iconographiques disponibles sur Internet peuvent apporter de précieux compléments à quiconque veut voir autant que savoir. Car, si beaucoup de lecteurs connaissent bien les impressionnistes ou encore Delacroix, Corot, Millet et Courbet, par exemple, il n’en va pas nécessairement de même des tableaux académistes ou de telle toile précise aujourd’hui conservée dans un musée étranger ou dans une collection particulière. Chacun se fait d’ailleurs sans doute une idée de ces œuvres à partir des toiles qu’il voit dans les musées de son pays et de celles qui sont les plus fréquemment reproduites par les éditeurs d’art et il est fort probable que le Courbet des Français ne soit pas tout à fait le même que celui des Américains ou des Italiens. C’est pourquoi, à chaque fois que cela est possible, nous proposons un lien soit vers un panorama de l’œuvre de chacun des peintres mentionnés (par exemple sur le site de la RMN pour ceux qui ne le connaîtraient absolument pas), soit vers une reproduction de la toile qu’analyse précisément Zola (nous choisissons alors le site qui nous semble présenter la meilleure reproduction).
P. Carles, B. Desgranges