Sisley

Rien, semble-t-il, ne destinait Sisley à la vie d’artiste : c’est vers le commerce qu’il s’orientait d’abord. Mais l’Angleterre, où il poursuit sa formation entre 1857 et 1859, lui révèle Constable, Turner et Bonington plus que le sens des réalités économiques. La rencontre de Bazille, en 1860, décide de son destin : il sera peintre. l’emmène à l’atelier de Gleyre, où il rencontre Monet et Renoir. Dès 1861, il travaille à Barbizon et séjourne à l’auberge Ganne. En 1862, Gleyre cessant d’enseigner, le jeune peintre et ses camarades décident de peindre en toute indépendance. Ils iront fréquemment ensemble sur le motif à Argenteuil ou ailleurs et Renoir, qui a partagé l’atelier de son ami en 1865, le représentera avec sa femme dans Le Ménage Sisley*.

Les premières oeuvres de Sisley, où se remarque l’influence de Corot et de Théodore Rousseau, datent de 1865. En 1866, il est reçu au Salon avec Rue de Village à Marlotte* et Rue de village à Marlotte, femmes allant au bois* mais il est refusé l’année suivante : comme Monet, Renoir, Pissarro ou Guillemet, il signe alors une pétition réclamant le rétablissement du Salon des Refusés dont le texte est rédigé par Bazille. A nouveau reçu en 1868 avec L’Avenue de châtaigniers près de La Celle-Saint-Cloud* (1867), refusé en 1869, il est admis en 1870 avec deux toiles impressionnistes avant la lettre, Le Canal Saint-Martin* (Orsay) et Péniches sur le canal Saint-Martin*. Mais la guerre franco-prussienne est pour lui un désastre : sa maison de Bougival est pillée par les Allemands. Cependant les premiers succès commerciaux tempèrent l’amertume du peintre : en 1871, Durand-Ruelqui a ouvert une galerie à Londres, expose Sur La Seine et Filets qui sèchent ; en 1872, le célèbre marchand achète deux de ses toiles, Effet de neige (pour la somme de 200F !) et Le Chemin de l’église ; qui plus est, il expose quatre tableaux de Sisley à la German Gallery de Londres lors de la 4° Exposition de la société des artistes français qu’il organise lui-même dans cette ville ! Désormais, il sera régulièrement présent à cette manifestation londonnienne.

Presqu’exclusivement paysagiste (il n’a peint que de très rares tableaux de figures comme La Leçon* et quelques natures mortes comme Héron aux ailes déployées*), Sisley peint au gré de ses déménagements successifs et de ses voyages, des vues de Marly, de Louveciennes, d’Argenteuil (il y rejoint souvent Monet), des vues de Bougival, de Sèvres, de Moret-sur-Loing ou encore des vues de la Tamise et d’Hampton Court. Dans sa Lettre de Paris du 18 avril 1874, Zola, qui doit normalement faire le compte-rendu du Salon officiel, salue « l’audace heureuse » des « trente artistes associés » qui ont décidé d’exposer leurs oeuvres chez Nadar. Faute de place, il se contente de recommander les « paysages » de Sisley à l’attention du public. Le peintre participe effectivement à la première Exposition des impressionnistes avec six toiles : Route de Saint-GermainIle de la Loge* , La Seine à Port-Marly, Verger, Soirée d’hiver, L’Automne, Bords de Seine à Bougival* .

La deuxième exposition impressionniste a lieu chez Durand-Ruel au printemps 1876 : sur les huit tableaux qu’y présente Sisley, six appartiennent à des marchands, ce qui témoigne de son succès. Il y a là Effet de Neige Avenue de l’abreuvoir, effet de givre ; Une route aux environs de Marly (ou L’abreuvoir de Marly en hiver) ; Le bord d’un ruisseau (environs de Paris) ; Le chemin des aqueducs ; Route de Saint-Germain* ; Inondation à Port Marly. Cette fois Zola fait plus que citer le nom du peintre, il lui consacre un paragraphe élogieux dans Le Sémaphore de Marseille et dans Le Messager de l’Europe, où il reprend l’essentiel de ses analyses pour le public russe. Associant d’emblée son talent à celui de Pissarro, il souligne l’originalité de chacun et compte le peintre parmi ceux qui, à la suite de Monet, ont hâté la révolution de l’Ecole française de peinture.

M. Sisley est […] un paysagiste de grand talent, plus équilibré que M. Pissarro. Il a un Effet de neige* d’une vérité et d’une solidité remarquables. Ses Inondations à Port-Marly* sont larges, très fines de ton. Je ne puis malheureusement m’étendre, et je rogne la part d’artistes qui demanderaient une étude détaillée. En somme, il y a là, je le répète, une manifestation très curieuse. Le mouvement révolutionnaire qui commence transformera certainement notre Ecole française avant cinquante ans. C’est pourquoi je me sens plein de tendresse pour les novateurs, pour ceux qui osent et qui marchent en avant, sans craindre de compromettre leur fortune artistique. Il faut leur souhaiter une seule chose, celle de continuer sans défaillance, d’avoir parmi eux un ou plusieurs hommes d’un talent assez grand pour donner à la nouvelle formule l’appui de leurs chefs-d’oeuvre.

Lettre de Paris ; Le Sémaphore de Marseille, 29

Sisley de même est un paysagiste de beaucoup de talent et qui possède des moyens plus équilibrés que Pissarro. Il sait reproduire la neige avec une fidélité et une exactitude remarquables. Son tableau Inondation à Port-Marly* est fait de larges coups de brosse et avec une coloration délicate. Je m’arrête là. Je répète en conclusion : le mouvement révolutionnaire qui s’amorce transformera assurément notre école française d’ici vingt ans. Voilà pourquoi j’éprouve une tendresse particulière pour les novateurs, pour ceux qui marchent hardiment en avant, ne craignant pas de compromettre leur carrière artistique. On ne saurait leur souhaiter qu’une chose : c’est de continuer sans vaciller ce qu’ils ont commencé, et de trouver dans leur milieu un ou plusieurs peintres assez doués pour fortifier par des chefs-d’oeuvre la nouvelle formule artistique.

Lettres de Paris. Deux expositions d’art en mai (Le Messager de l’Europe, juin 1876)

 

Dix-sept paysages, dont une Inondation à Port-Marly, figurent à la Troisième Exposition impressionniste de 1877. Sisley a consacré de nombreuses toiles à ce motif : celle du musée d’Orsay, présente à l’exposition de 1876, celle du musée de Rouen*, celle de la collection Thyssen-Bornemisca* ou encore celle de la NGA*Il est donc difficile d’identifier celle qu’il présentait à l’exposition de 1877 où l’on trouve aussi : Le Chalet, gelée blanche, Le Parc ; Route le soir ; Les Scieurs de long* ; Rue de village ; Les Gresset, village aux environs de Paris ; La Seine au Pecq ; Champ de foin ; Bords de la Seine, coup de vent ; Le pont d’Argenteuil en 1872* ; La Machine de Marly*Encore une fois Zola mentionne Sisley

Je ne range pas ici les peintres impressionnistes par rang de mérite, car j’aurais dans ce cas parlé déjà de M. Pissarro et de M. Sisley, deux paysagistes du plus grand talent. Ils exposent chacun, dans des notes différentes, des coins de nature d’une vérité frappante.

Une exposition : les peintres impressionnistes, (Le Sémaphore de Marseille, 19 avril 1877)

Depuis 1879, Sisley est « fatigué de végéter » en marge du SalonIl constate que les expositions indépendantes, qui « ont servi à […] faire connaître » les impressionnistes, les ont aussi coupés du public : « le moment est encore loin où on pourra se passer du prestige qui s’attache aux expositions officielles », écrit-il alors. Mais, alors que Monet rentre au Salon avec Lavacourt, Sisley est refusé. Les impressionnistes les plus intransigeants, ceux qui refusent absolument d’exposer au Salon, voient d’un mauvais oeil ce qu’ils considèrent comme une trahison et Sisley constate avec amertume que sa décision « d’envoyer au Salon » l’a rendu « plus isolé que jamais ». Il maintient sa position en 1880 et Zola, qui défend vigoureusement la décision de ceux qui acceptent la bataille sur le terrain du Salon officiel, seul terrain digne, à ses yeux, des vrais lutteurs, fait l’éloge de Sisley bien qu’il ait été une nouvelle fois refusé au Salon.

MM. Pissarro, Sisley, Guillaumin ont marché à la suite de M. Claude Monet, que je vais retrouver tout à l’heure au Salon officiel, et ils se sont appliqués à rendre des coins de nature autour de Paris, sous la vraie lumière du soleil, sans reculer devant les effets de coloration les plus imprévus.

Le naturalisme au Salon – 1880

Les espoirs de Sisley, qui refuse toujours d’exposer avec les impressionnistes, sont à nouveau déçus en 1881. En 1882, Durand-Ruel envoie 27 de ses paysages à la VII° Exposition des Artistes Indépendants. En 1883, il l’expose successivement à Londres, en Amérique (à Boston) et à Paris : il rassemble soixante tableaux dans sa galerie parisienne. En 1886, Sisley ne participe pas à la 8° et dernière exposition impressionniste mais l’infatigable Durand-Ruel organise une exposition à New York, Works in oil and pastel by the impressionnists of Paris où Sisley a 15 tableaux. Il aura également 15 tableaux à la 6° Expo Internationale de Peinture et de Sculpture qui se déroule dans les galeries Georges Petit.

En 1888, malgré des problèmes financiers endémiques, Sisley connaît une première reconnaissance officielle : l’Etat achète Matinée de septembre et les amateurs se pressent aux espositions qu’organise Durand-Ruel en Amérique ou ailleurs. Désormais les portes du Salon lui sont ouvertes : il aura 7 tableaux en 91 et en 92, six en 93, 8 en 1894 et en 95, 7 en 1896 ! Lorsque Zola visite le Salon de peinture, cette année-là, il peut voir L’Eglise de Moret*, l’une des quatorze vues de la même façade, peinte dans la lumière aveuglante du soleil : il ne nomme pas Sisley mais souligne le triomphe de l’impressionnisme désormais imité et dénaturés par les épigones.

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