Rousseau est avec Millet l’un des fondateurs de l’école de Barbizon. Elève d’un paysagiste classique puis d’un peintre d’histoire qui lui révéla des paysagistes anglais comme l’aquarelliste Bonington ou le peintre Constable, il subit aussi l’influence des hollandais Ruysdaël, Hobbema ou Van de Velde. Ses paysages, auxquels le jury du Salon reprochait leur caractère d’ébauches, ont eu une certaine influence sur les impressionnistes.
Rousseau est un peintre voyageur : en 1830, il exécute une série de paysages d’Auvergne qui lui valent sa première notoriété. Reçu au Salon dès 1831 avec l’une des toiles qu’il a ramenées de ce voyage, Site d’Auvergne (1830), il travaille en Normandie et dans la vallée de la Seine avant de se consacrer à la forêt de Fontainebleau : Lisière d’un bois coupé, forêt de Compiègne, qui obtient une médaille au Salon de 1834, lui vaut la clientèle du duc d’Orléans.
Pourtant, la gloire de Rousseau est éphémère. Les deux tendances contradictoires, romantisme et réalisme, qui se partagent ses oeuvres, déplaisent également au jury du Salon : Paysage du Jura (dit La descente des Vaches), qui enthousiasme les romantiques, est refusé au Salon de 1836 ; quant à ses études réalistes, qui rompent avec le « paysage composé », elles lui valent les quolibets de la foule et les refus du jury jusqu’en 1841. Malgré les encouragements de Delacroix, de George Sand, de Théophile Gautier et de Baudelaire, Rousseau cessera de se présenter au Salon jusqu’en 1849 où il obtient enfin une médaille de première classe. Cela le dispensera désormais de soumettre ses toiles à l’approbation du jury.
La paria devient alors un maître inconstesté : Rousseau expose régulièrement au Salon entre 1850 et 1861, il conquiert non seulement la critique mais encore de riches amateurs comme le duc de Morny ou des marchands comme Durand-Ruel. L’Exposition Universelle de 1855, où il a treize tableaux, consacre son succès. On y voit Les Côtes de Granville ; Lisière de Bois, Berry ; Une avenue, forêt de L’Isle-Adam ; Landes, effet du matin ; Sortie de forêt à Fontainebleau ; Coucher de Soleil ; Sortie de forêt, crépuscule, Fontainebleau ; Un marais dans les Landes ; Lisière du mont Girard, forêt de Fontainebleau ; Groupe de chênes dans les gorges d’Apremont ; Plaine de Barbizon, effet du soir ; Un côteau près de Melun ; Un côteau cultivé, plaine de Barbizon.
Les premières oeuvres de Pissarro, qui a sans doute visité cette exposition, sont marquées par l’influence de Rousseau. Quant à Monet, qui visite le Salon de 1859, il s’enthousiasme pour le peintre qui, représentant souvent deux vues du même paysage, au soleil levant et au soleil couchant, esquisse déjà l’art des séries. Fort de son succès, Rousseau a d’ailleurs commencé une collection de peinture où figurent, aux côtés de Rembrandt ou de Corot, des estampes japonaises. Les maîtres japonais, dont le goût pour les séries rencontre sa propre inspiration, lui révèlent la magie des aplats de couleur claire qui déroutent ses contemporains et suscitent de sévères critiques. Cela n’empêche pas Rousseau de présider le jury de peinture de l’Exposition Universelle de 1867 où figurent Le Curé à cheval (musée de Toledo) ; La Clairière ; L’Effet du soir ; Après la pluie ; Le Pont ; La chaumière sous les arbres ; Le Village ; La Ferme du grand chêne.
Bazille, Monet, Sisley, Pissarro, qui séjournèrent fréquemment à Chailly, entre 1863 et 1865, tout près de Barbizon, ont sans doute rencontré le peintre qui voulait déjà « donner l’impression vierge de la nature » : certaines de leurs toiles précoces, comme Vue de Rouelles (1855) et Le Poirier au bord de la mare (~1856) de Monet, Allée de châtaigniers à La Celle-Saint-Cloud de Sisley (1865) – dont il existe deux versions, l’une au Petit Palais, l’autre au musée Ordrupgaard au Danemark – , ou encore les premiers Renoir en portent la marque.
Zola admire en Rousseau le paria qui a ouvert la voie aux paysagistes modernes, mais il est sans complaisance pour le peintre arrivé qui renie ses amours de jeunesse pour bouter hors du Salon de 1866 les réalistes. Voilà comment il le présente dans L’Evénement, le 30 avril 1866 où il analyse la composition du jury, auquel appartient désormais Rousseau :
M. Théodore Rousseau. Un romantique endurci. Il a été refusé pendant dix ans, il rend dureté pour dureté. On me l’a représenté comme un des plus acharnés contre les réalistes, dont il est pourtant le petit cousin.
Rendant à son tour coup pour coup dans son article du 15 mai intitulé Les Chutes, Zola assassine le peintre vieillissant qui présente deux paysages au Salon, Coucher du soleil ; forêt de Fontainebleau et Bornage de la forêt de Fontainebleau à Barbizon. Au-delà de la querelle de personne, il semble qu’il n’ait guère apprécié le japonisme secret des dernières oeuvres de Rousseau. C’est que le japonisme, dont Zola est lui-même un adepte, tourne facilement « au bibelot », comme il l’écrira plus tard. Dans les mains de Rousseau, les « petits bâtons » japonais, dont un Van Gogh saura tirer de puissants effets, perdent toute leur grâce fragile ; ils donnent à la toile un air faux, un aspect méticuleux qui ne convient pas au puissant« tempérament » de l’artiste :
En sortant du Salon, j’ai voulu retourner voir le paysage* que l’artiste a au musée du Luxembourg. Vous rappelez-vous cet arbre puissamment tordu, se détachant en noir sur le rouge sombre d’un coucher de soleil ? Il y a des vaches dans l’herbe. L’œuvre est profonde et tourmentée. Ce n’est peut-être pas là une nature bien vraie, mais ce sont des arbres, des vaches et des cieux interprétés par un esprit vigoureux qui nous a communiqué en un langage étrange les sensations poignantes que la campagne faisait naître en lui.
Et je me suis demandé comment M. Théodore Rousseau pouvait en être arrivé au travail de patience dans lequel il se complaît aujourd’hui. Voyez ses paysages du Salon. Les feuilles et les cailloux sont comptés, les tableaux paraissent peints avec de petits bâtons qui auraient collé la couleur goutte à goutte sur la toile. L’interprétation n’a plus aucune largeur. Tout devient forcément petit. Le tempérament disparaît devant cette lente minutie ; l’œil du peintre ne saisit pas l’horizon dans sa largeur, et la main ne peut rendre l’impression reçue et traduite par le tempérament. C’est pourquoi je ne sens rien de vivant dans cette peinture ; lorsque je demande à M. Théodore Rousseau de saisir en sa main, comme il l’a fait jadis, un morceau de la campagne, il s’amuse à émietter la campagne et à me la présenter en poussière.
Tout son passé lui crie : Faites large, faites puissant, faites vivant.
Il me prend un scrupule. Le titre de cet article est bien dur. Je suis obligé de juger aujourd’hui, peut-être trop sévèrement, des artistes que j’aime et que j’admire. Un simple fait me servira d’excuse.
Après la publication de mon article sur M. Manet, j’ai rencontré un de mes amis auquel je communiquai mon impression toute franche sur les toiles dont je viens de parler.
» Ne dites jamais cela, s’est-il écrié, vous frappez sur vos frères ; il faut se constituer en bande, en coterie, et défendre quand même son parti. Vous levez le drapeau de la personnalité. Louez tous les gens personnels, dussiez-vous mentir. »
C’est pourquoi je me suis hâté d’écrire ces lignes.
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