Goupil

Comme l’a montré en 2000 l’exposition du Musée d’Aquitaine (2000), la fortune des académistes doit beaucoup à Adolphe Goupil, premier industriel de l’image. Goupil avait en effet créé une société de vente et d’édition d’estampes dès 1829 et l’entreprise s’était vite développée : en 1846, la vente de dessins et de peintures s’était ajoutée à celle des estampes et de nombreuses succursales s’étaient ouvertes un peu partout, en 1848 à New York, en 1852 à Berlin, et bientôt à Londres, La Haye ou Bruxelles… Or, dans les années 60, Goupil trouva dans la photographie, inventée en 1839, le procédé industriel qui mettait à la portée de tous les publics les œuvres des peintres à la mode : on y trouvait des reproductions de portraits officiels, de toiles patriotiques, religieuses ou sentimentales, en noir et blanc ou en couleur.

La photographie qui, à la différence des estampes, peut être reproduite à l’infini sans aucun phénomène d’usure, assurait ainsi la descente sociologique des œuvres d’art et la fortune des artistes qui exposaient au Salon. Car le public petit bourgeois, voire populaire, qui, de plus en plus nombreux, se pressait chaque année à l’exposition officielle, aimait à en retrouver chez lui le souvenir. Les peintres académistes ont largement bénéficié de cet engouement pour l’image. En épousant la fille de Goupil en 1863, l’année même du Salon des Refusés, Gérome scellait symboliquement « les noces d´argent » de l’art et de l´industrie. Sans vergogne, il se soumit alors au goût de la clientèle, retouchant ses œuvres au gré des exigences du commerce, proposant même diverses versions de ses toiles les plus célèbres, comme Le Duel au sortir d’un bal masquépour que chacun puisse assortir le tableau aux couleurs de son appartement ! La même œuvre était également déclinée en reproductions de différents formats et de plusieurs qualités : Goupil mettait littéralement l’art à la portée de toutes les bourses !

Zola fustige cet asservissement de l’art à l’argent dans Le Salon de 1867 :

Évidemment, M. Gérome travaille pour la maison Goupil, il fait un tableau pour que ce tableau soit reproduit par la photographie et la gravure et se vende à des milliers d’exemplaires.
Ici, le sujet est tout, la peinture n’est rien : la reproduction vaut mieux que l’œuvre. Tout le secret du métier consiste à trouver une idée triste ou gaie, chatouillant la chair ou le coeur, et à traiter ensuite cette idée d’une façon banale et jolie qui contente tout le monde.
Il n’y a pas de salon de province où ne soit pendue une gravure représentant 
le Duel au sortir d’un bal masqué* ou Louis XIV et Molière* ; dans les ménages de garçons on rencontre l’Almée* et Phryné devant le tribunal* ; ce sont là des sujets piquants qu’on peut se permettre entre hommes. Les gens plus graves ont Les Gladiateurs* ou La Mort de César*. M. Gérome travaille pour tous les goûts.

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