Brigot, élève de Courbet, est un artiste aujourd’hui bien oublié. Zola associe pourtant son nom à celui de Manet dans Mon Salon, en avril 1866 :
On vient de refuser, entre autres, MM. Manet et Brigot, dont les toiles avaient été reçues les années précédentes. Evidemment, ces artistes ne peuvent avoir beaucoup démérité, et je sais même que leurs derniers tableaux sont meilleurs. Comment alors expliquer ce refus ?
Il me semble, en bonne logique, que si un peintre a été jugé digne aujourd’hui de montrer ses œuvres au public, on ne peut pas couvrir ses toiles demain. C’est pourtant cette bévue que vient de commettre le jury. Pourquoi ? Je vous l’expliquerai.
Vous imaginez-vous cette guerre civile entre artistes, se proscrivant les uns les autres ; les puissants d’aujourd’hui mettraient à la porte les puissants d’hier ; ce serait un tohu-bohu effroyable d’ambitions et de haines, une sorte de petite Rome au temps de Sylla et de Marius. Et nous, bon public, qui avons droit aux œuvres de tous les artistes, nous n’aurions jamais que les œuvres de la faction triomphante. Ô vérité, ô justice !
Jamais l’Académie ne s’est déjugée de la sorte. Elle tenait les gens pendant des années à la porte, mais elle ne les chassait pas de nouveau après les avoir fait entrer.
Dieu me préserve de rappeler trop fort l’Académie. Le mal est préférable au pire, voilà tout.
Je ne veux pas même choisir des juges et désigner certains artistes comme devant être des jurés impartiaux. MM. Manet et Brigot refuseraient sans doute MM. Breton et Brion , de même que ceux-ci ont refusé ceux-là. L’homme a ses sympathies et ses antipathies, qu’il ne peut vaincre. Or, il s’agit ici de vérité et de justice.
Le jury (1) Mon Salon ; L’Evénement, le 27 avril 1866
Brigot aurait été désavoué par son professeur. Zola, qui critiquait déjà les conceptions artistiques de Proudhon dans Mes Haines, en 1865, ironise ici sur le « livre de Proudhon » (Du principe de l’art et de sa destination sociale), et refuse à nouveau toute soumission de l’art à l’idéologie :
[…] Courbet, paraît-il, a passé à l’ennemi. On serait allé chez lui en ambassade, car le maître d’Ornans est un terrible tapageur qu’on craint d’offenser, et on lui aurait offert des titres et des honneurs s’il voulait bien renier ses disciples. On parle de la grande médaille ou même de la croix. Le lendemain, Courbet se rendait chez M. Brigot, son élève, et lui déclarait vertement qu’« il n’avait pas la philosophie de sa peinture ». La philosophie de la peinture de Courbet ! Ô pauvre cher maître, le livre de Proudhon vous a donné une indigestion de démocratie. Par grâce, restez le premier peintre de l’époque, ne devenez ni moraliste ni socialiste.
[…] Eh bien ! je suis heureux de terminer cet article en disant aux jurés qu’ils sont de mauvais douaniers. L’ennemi est dans la place, je les en avertis. Je ne parle pas des quelques bons tableaux qu’ils ont reçus par inadvertance. Je veux dire tout simplement que M. Brigot, contre lequel on a pris les plus grandes précautions, aura pourtant deux études au Salon. Cherchez bien, elles sont dans les B, quoique signées d’un autre nom.
Ainsi, jeunes artistes, si vous désirez être reçus l’année prochaine, ne prenez pas le pseudonyme de Brigot, prenez celui de Barbanchu. Vous êtes certains d’être acceptés à l’unanimité. Il paraît décidément que c’est une simple affaire de nom.
Le jury (2) Mon Salon ; L’Evénement, le 30 avril 1866
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