La troisième exposition impressionniste 1877

Notes parisiennes – Une exposition : Les Peintres impressionnistes

le 19 avril 1877

Je ne vous ai point encore parlé de l’exposition des peintres impressionnistes. C’est la troisième fois que ces peintres soumettent leurs œuvres au public, en dehors des Salons officiels. Leur désir a d’abord été de se soustraire au jugement du jury, qui écarte du Salon toutes les tentatives originales. Ils se sont trouvé former ainsi un groupe homogène, ayant les uns et les autres une vision à peu près semblable de la nature ; et ils ont alors ramassé comme un drapeau la qualification d’impressionnistes qu’on leur avait donnée. Impressionnistes on les a nommés pour les plaisanter, impressionnistes ils sont restés par crânerie.
Maintenant, je crois qu’il n’y a pas lieu de chercher exactement ce que ce mot veut dire. Il est une bonne étiquette, comme toutes les étiquettes. En France, les écoles ne font leur chemin que lorsqu’on les a baptisées, même d’un mot baroque. Je crois qu’il faut entendre par des peintres impressionnistes des peintres qui peignent la réalité et qui se piquent de donner l’impression même de la nature, qu’ils n’étudient pas dans ses détails, mais dans son ensemble. Il est certain qu’à vingt pas on ne distingue nettement ni les yeux ni le nez d’un personnage. Pour le rendre tel qu’on le voit, il ne faut pas le peindre avec les rides de la peau, mais dans la vie de son attitude, avec l’air vibrant qui l’entoure.
De là une peinture d’impression, et non une peinture de détails. Mais, heureusement, en dehors de ces théories, il y a autre chose dans le groupe ; je veux dire qu’il y a de véritables peintres, des artistes doués du plus grand mérite.
Ce qu’ils ont de commun entre eux, je l’ai dit, c’est une parenté de vision. Ils voient tous la nature claire et gaie, sans le jus de bitume et de terre de Sienne des peintres romantiques. Ils peignent le plein air, révolution dont les conséquences seront immenses. Ils ont des colorations blondes, une harmonie de tons extraordinaire, une originalité d’aspect très grande. D’ailleurs, ils ont chacun un tempérament très différent et très accentué.
Je ne puis, dans cette correspondance, leur accorder à chacun l’étude qu’ils mériteraient. Je me contenterai de les nommer : M. Claude Monet (1) est la personnalité la plus accentuée du groupe. Il a exposé cette année des intérieurs de gare superbes. On y entend le grondement des trains qui s’engouffrent, on y voit des débordements de fumée qui roulent sous les vastes hangars. Là est aujourd’hui la peinture, dans ces cadres modernes d’une si belle largeur. Nos artistes doivent trouver la poésie des gares, comme leurs pères ont trouvé celle des forêts et des fleuves.

 "La Gare Saint-Lazare", Claude Monet (1840-1926) - 1877 - huile sur toile, 1877, Paris, musee d'Orsay (AGLILEO COLLECTION / AURIMAGES / AGLILEO / AURIMAGES)
Monet, La Gare Saint Lazare et La Gare Saint Lazare, arrivée d’un train
Monet, L’Arrivée du train de Normandie, Le Pont de L’Europe (dit alors « de Rome »)

Je citerai ensuite M. Paul Cézanne, qui est à coup sûr le plus grand coloriste du groupe.

Dish of Apples, Paul Cézanne (French, Aix-en-Provence 1839–1906 Aix-en-Provence), Oil on canvas

Nature morte, 1876-77 (la serviette dessine, à l’arrière-plan, une Sainte-Victoire miniature, un « paysage de Provence » symbolique)

Il y a de lui, à l’exposition, des paysages de Provence du plus beau caractère. Les toiles si fortes et si vécues de ce peintre peuvent faire sourire les bourgeois, elles n’en indiquent pas moins les éléments d’un très grand peintre. Le jour où M. Paul Cézanne se possédera tout entier, il produira des œuvres tout à fait supérieures.

 

 

M. Renoir a envoyé des portraits de femmes charmants. Le succès de l’exposition est la tête de Mlle Samary, la pensionnaire de la Comédie-Française, une tête toute blonde et rieuse. Mais je préfère les portraits de Mme G. C. et de Mme A. D., qui me paraissent beaucoup plus solides et d’une qualité de peinture supérieure. M Renoir expose également un Bal du Moulin de la Galette, grande toile d’une intensité de vie extraordinaire.

 

Image dans Infobox. Fichier:Pierre-Auguste Renoir - Madame Charpentier - 01.jpg Fichier:Pierre-Auguste Renoir - Madame Alphonse Daudet.jpg

Portraits de Jeanne Samary, Mme Georges Charpentier et Mme Alphonse Daudet

Image dans Infobox.

Je ne puis également donner que quelques lignes a Mlle Berthe Morisot, dont les toiles sont d’une couleur si fine et si juste. Cette année, la Psyché et Jeune femme à sa toilette sont deux véritables perles, où les gris et les blancs des étoffes jouent une symphonie très délicate. J’ai aussi remarqué des aquarelles délicieuses de l’artiste.

 

Berthe Morisot's Psyche Mirror

Berthe Morisot, Psyché et Jeune femme à sa toilette 

La place va me manquer et il faut que je passe rapidement sur M. Degas dont les aquarelles sont si belles. Il a des danseuses prodigieuses, surprises dans leur élan, des cafés-concerts d’une vérité étonnante avec « divas » qui se penchent au-dessus de quinquets fumeux, la bouche ouverte. M. Degas est un dessinateur d’une précision admirable, et ses moindres figures prennent un relief saisissant.

 

 

Je ne range pas ici les peintres impressionnistes par rang de mérite, car j’aurais dans ce cas parlé déjà de M. Pissarro et de M. Sisley, deux paysagistes du plus grand talent. Ils exposent chacun, dans des notes différentes, des coins de nature d’une vérité frappante.

 

Pissarro, La Moisson et Les Toits rouges, coin de village, effet d’hiver

View of Marly-le-Roi from Coeur-Volant, Alfred Sisley (British, Paris 1839–1899 Moret-sur-Loing), Oil on canvas

Sisley, le Chalet, gelée blanche et le Pont d’Argenteuil en 1872

Enfin, je nommerai M. Caillebotte, un jeune peintre du plus beau courage et qui ne recule pas devant les sujets modernes grandeur nature. Sa Rue de Paris par un temps de pluie montre des passants, surtout un monsieur et une dame au premier plan qui sont d’une belle vérité. Lorsque son talent se sera un peu assoupli encore, M. Caillebotte sera certainement un des plus hardis du groupe .

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Caillebote, Rue de Paris par un temps de pluie

Et maintenant les peintres impressionnistes peuvent laisser le public sourire, leur triomphe est à ce prix. Toujours le public a souri devant les tableaux originaux. Lorsque Delacroix et Decamps ont paru, la foule s’est fâchée et a voulu crever leurs toiles.

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Delacroix, La Barque de Dante et Decamps, Cour de ferme

Le privilège des artistes de tempérament est d’ameuter et de passionner leur époque. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il sortira forcément quelque chose du mouvement que déterminent aujourd’hui les peintres impressionnistes. Avant quelques années on verra leur influence se produire sur les Salons officiels eux-mêmes. L’avenir de notre école est là ; le branle est donné, les maîtres n’ont plus qu’à réaliser la note nouvelle.

La preuve que les peintres impressionnistes déterminent un mouvement, c’est que le public tout en riant va voir en foule leur exposition. On y compte par jour plus de cinq cents visiteurs. C’est un succès pour qui connaît les choses. Non seulement les frais de l’exposition seront couverts, mais il y aura peut-être des bénéfices. Bon courage et bon succès aux peintres impressionnistes !

 

Notes :

1 -Monet exposait 31 toiles – dont une hors-catalogue -, à l’exposition de 1877 ; il n’est pas toujours facile de les identifier, nous ajoutons un point d’interrogation aux toiles problématiques ; notons que le catalogue parle du Pont de Rome pour ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le Pont de l’Europe ; cette appellation vient de la Rue de Rome sur laquelle débouche le Pont :

Claude Monet, 3IE-1877-92, Paysage d'automne= CR432, 1876, Wood lane, autumn, 72x60, xx (R22II,p175=CR432;R90II,p93;R2,p205) File:Monet - Rosenstraeucher im Garten von Montgeron.jpg
La Prairie, La Mare à Montgeron, Paysage d’automne (?), Les Dahlias (Montgeron), Dans La Prairie
Fichier:Monet-Tuileries-Marmottan.jpg Fichier:Claude Monet - Arrival of the Normandy Train, Gare Saint-Lazare - Google Art Project.jpg
Les Tuileries, Paysage, le parc Monceaux, Arrivée du train de Normandie, gare Saint-Lazare, Le Pont de Rome, gare Saint-Lazare, Portrait d’enfant
Fichier:Claude Monet - The Gare Saint-Lazare, Arrival of a Train.jpg Image dans Infobox. Claude Monet, 3IE-1877-103, La maison du passeur à Argenteuil = CR329, 1874, River banks at Argenteuil (The ferryman's house), 55x65, destroyed 1950ca (R22II,p138=CR329;R2,p329;R90II,p95) Claude Monet, 3IE-1877-104, Marine. Maybe: CR327, 1874, The Seine near Argenteuil, 55x66, private (iR2;R2,p205;R90II,p77;R22+R127,CR327)
La Gare Saint-Lazare, arrivée d’un train, Les Dindons, Vue intérieure de la gare Saint-Lazare, La Maison du passeur à Argenteuil, Marine (Argenteuil) ?,
File:Monet - Jardin des Tuileries -1875.jpg File:Claude monet la plaine de gennevilliers.jpg File:Monet - Wildenstein 1996, 422.png
Les Tuileries, esquisse, Corbeille de fleurs (?), La Plaine de Gennevilliers, Effet d’automne à Montgeron, Le Chalet
File:'The Grand Quay at Havre' by Claude Monet, 1874, Hermitage.JPG
Marine (Sainte-Adresse), Le Grand Quai au Havre, esquisse, Un Jardin, Un jardin, Portrait, Intérieur d’appartement,

La Prairie, La Mare à Montgeron, Paysage d’automne, Les Dahlias (Montgeron), Dans La Prairie, Les Tuileries, Paysage, le parc Monceau, Arrivée du train de Normandie, gare Saint-Lazare, Le Pont de Rome, gare Saint-Lazare, Portrait d’enfant, La Gare Saint-Lazare, arrivée d’un train, Les Dindons, Vue intérieure de la gare Saint-Lazare, La Maison du passeur à Argenteuil, Marine (Argenteuil), Les Tuileries, esquisse, Corbeille de fleurs, La Plaine de Gennevilliers, Effet d’automne à Montgeron, Le Chalet, Marine (Sainte-Adresse), Le Grand Quai au Havre, esquisse, Un Jardin, Un jardin, Portrait, Intérieur d’appartement, Intérieur de la gare Saint-Lazare à Paris (deux autres toiles intitulées de la même manière), Le Jardin des Tuileries.