Edouard Manet. Etude biographique et critique, 1867 (Préface)

 

Préface

 

L’étude biographique et critique qu’on va lire a paru dans La Revue du XIXe siècle (numéro du 1er janvier 1867). Je l’ai écrite à la suite d’une visite que je fis à l’atelier d’Edouard Manet, où se trouvaient alors réunies les toiles que l’artiste comptait envoyer à l’Exposition universelle. Depuis ce jour, certains faits se sont produits. Edouard Manet, craignant que le jury d’admission ne pût faire qu’un choix trop restreint parmi ses tableaux et voulant enfin se montrer au public dans l’ensemble complet de ses oeuvres et de son talent, s’est décidé à ouvrir une exposition particulière.


Je crois devoir choisir l’instant où la foule va être appelée à porter jugement définitif, pour remettre sous les yeux des lecteurs la plaidoirie que j’ai écrite en faveur de l’artiste. Cette plaidoirie a sa date, et je n’ai pas voulu effacer une seule des phrases qui témoignent de l’époque à laquelle je l’ai publiée. Je tiens à constater que l’exposition particulière d’Edouard Manet n’est ici qu’une occasion, et que cette exposition ne m’a pas inspiré la brochure que je mets en vente aujourd’hui. Je ne saurais trop me précautionner contre certaines irritations malveillantes. Il faut donc voir uniquement dans mon travail la simple analyse d’une personnalité vigoureuse et originale, que des sympathies m’ont fait aimer d’instinct. À ce moment, j’ai éprouvé l’impérieux besoin de dire tout haut ce que je pensais tout bas, de démonter un tempérament d’artiste dont le mécanisme me ravissait, et d’expliquer nettement pourquoi j’admirais un talent nouveau qu’il a été de mode jusqu’à cette heure de traîner dans les grosses plaisanteries de notre joli petit esprit français. J’ai fait ma tâche d’anatomiste comme j’ai pu, en souhaitant parfois d’avoir des scalpels encore plus tranchants. D’ailleurs, bien que mes opinions soient vieilles de quatre mois, ce qui est un bel âge pour les opinions d’un publiciste, j’ai la joie de pouvoir les imprimer telles quelles, sans les regretter, sans les modifier, en les étalant et en les affirmant au contraire davantage. Je veux que les éloges accordés par moi à Edouard Manet paraissent le jour même où s’ouvrira son exposition particulière, tant je suis certain d’un grand succès et tant je tiens à honneur d’avoir été le premier à saluer la venue d’un nouveau maître. Une autre cause m’a décidé encore à publier ces pages. Eloigné par mes travaux de la critique artistique, ne pouvant m’occuper, cette année, des deux expositions de tableaux qui ont lieu au Champ-de-Mars et aux Champs-Elysées, je désire cependant faire acte de présence et continuer autant que possible l’oeuvre que j’ai entreprise, il y a un an, en disant carrément ce que je pense de l’art contemporain. Mon étude sur Edouard Manet est une simple application de ma façon de voir en matière artistique, et, en attendant mieux, en attendant que je puisse faire un nouveau Salon, je livre à l’appréciation de tous un essai où l’on jugera des mérites et des défauts de la méthode que j’emploie. Edouard Manet a eu l’obligeance de mettre à ma disposition une eau-forte qu’il a gravée d’après son Olympia. Je n’ai pas à louer ici cette eau-forte ; je remercie simplement l’artiste de m’avoir permis de donner la preuve à côté de la démonstration, une oeuvre de lui à côté de mes louanges.

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